Vieilles nouvelles

 Je conserve parfois une certaine tendresse pour des textes écrits il y a des années, publiés ou non, et qui ne sont plus lus s'ils l'ont déjà été. Dans cette section, je vais en partager quelques-uns, en espérant qu'ils plaisent à quelqu'un...

 COPYRIGHT : Attention, certains des textes et images de ce blog sont publiés dans des magazines. De même que tous ceux publiés ici, ils sont ma création personnelle, donc protégés par le droit d'auteur. Toute utilisation partielle ou intégrale est interdite sans mon autorisation

Le Scaphandre

 

Sur le pont de commande, tout était calme, comme toujours, car dehors, l’espace intersidéral portait bien son nom, beaucoup d’espace, pas grand-chose dedans, ce qui ne laissait que l’ennui à l’équipage éveillé de cet environnement entièrement automatisé, qui s’occupait en futilités, comme tous les jours, les semaines les mois et les années depuis des lustres, comme ce serait probablement le cas jusqu'à ce que l’expédition atteigne son but, une toute petite planète dans un système éloigné, où l’humanité pourrait renaître de ses cendres, recommencer sur des bases moins improvisées, ce qui l’empêcherait peut-être, du moins c’était ce que l’on souhaitait, de s’autodétruire à nouveau, mais on en était encore loin, de cette planète, et un accident est si vite arrivé, une défectuosité du système de guidage, une météorite qu’on n’avait pas repérée, une dépressurisation et hop ! c’en serait fini du genre humain. Qu’il était loin pour eux ce temps où, au détour d’une colline, on apercevait un ruisseau, entre les branches d’un arbre, un oiseau, ça leur semblait un rêve dont on s’éveille avec l’impression de l’avoir vécu, mais plein de doutes, aussi, tant ça nous paraît invraisemblable, tellement éloigné de notre réalité actuelle qu’il n’est pas possible que ça nous soit vraiment arrivé, et dans leur environnement aseptisé, artificiel, fait de machines et de murs de métal, toujours les mêmes depuis tant de temps, à en devenir un peu claustrophobes même s’ils ne l’étaient pas de nature, tout leur passé sur la terre s’enveloppait des brumes du songe et s’estompait graduellement dans leur mémoire pour être remplacé par du vide, peut-être le même que celui qui entourait leur astronef et emplissait leur vie, les laissant de plus en plus blasés, sans substance. Soudain, un voyant se mit à clignoter sur le tableau de bord, l’un de ceux qui ne l’avait jamais fait mais dont chacun connaissait la signification, rien de grave, pour l’instant du moins, mais dans cet univers où le moindre changement était inhabituel, espéré et craint en même temps, cela provoqua une commotion dans l’équipage, qui se rassembla devant le voyant, dans l’attente d’avoir un contact visuel avec l’objet repéré, l’objet non-naturel, construit qu’il annonçait, et ce contact se fit bientôt, ce fut tout d’abord un point éloigné, que les caméras zoomèrent rapidement pour révéler un scaphandre blanc-gris, de forme humanoïde, tournoyant de façon incontrôlée, depuis des siècles peut-être car il était impossible de l’identifier, ce qui n’aurait pas été le cas avec un modèle récent, et puis, peut-être n’était-il pas, tout simplement, d’origine terrienne, le fait qu’on n’ait jamais rencontré d’extraterrestres n’impliquait pas automatiquement qu’ils n’existaient pas, et de voir ce scaphandre flotter sans but leur rappela leur fragilité, la possibilité qu'à eux aussi il leur arrive la même chose, un accident, une fin précipitée, et ils furent pris d’un grand respect pour cet inconnu qui flottait là, sans but, pour toujours, certains en furent même un peu émus, tous marqués, imprégnés par ce scaphandre et son occupant supposé, pour lequel ils célébrèrent une courte cérémonie, avant de le laisser poursuivre son chemin, seul.


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Les Bruits

 

Des bruits singuliers couraient un peu partout dans la vallée, tellement rapidement que personne ne réussissait à les attraper.  Ils étaient vraiment singuliers, puisqu'ils ne venaient jamais en groupe, et qu'ils étaient tous différents, étranges, bizarres.

La population des alentours avait tout d'abord été effrayée, puis à la peur s'était substituée la curiosité, puisque ces bruits n'étaient audiblement pas dangereux.  D'où provenaient-ils?  Personne n'aurait su le dire; ils étaient tout simplement là.  Les journaux du monde entier en avaient parlé, et les touristes affluaient encore plus rapidement que les scientifiques, déjà très nombreux.  La vallée calme et paisible où seulement quelques maisons étaient construites, s'était transformée en une ruche bourdonnante de vies humaines.  Déjà, après deux semaines, des promoteurs immobiliers construisaient des hôtels et des édifices à logement, pour profiter de l'affluence.  Mais les bruits, eux, se tenaient à l'écart de ces chantiers, comme s'ils étaient effrayés.  Oui, effrayés; ces bruits semblaient obéir à une certaine forme d'intelligence, zigzaguant pour semer leurs poursuivants, évitant les obstacles, mais passant tout près des êtres humains comme s'ils voulaient entrer en contact avec eux.  Plusieurs théories avaient été émises, toutes semblant farfelues, toutes pouvant être vraies.   

Un matin, touristes et scientifiques se réunirent dans une clairière où plusieurs édifices étaient en construction.  Il y avait de quoi; deux cent dollars étaient donnés par l'Institut National des Sciences Et des Recherches Technologiques (INSERT) à chaque personne qui participait à la battue qui aurait lieu de jour-là.  Le but?  Enregistrer l'un de ces étranges bruits, afin de l'analyser, le décomposer, l'écouter au ralenti ou à l'accéléré pour essayer de comprendre quelque chose.  Il y eut donc plus de mille personnes qui prirent le départ, dans cette battue à travers la forêt et les clairières, enregistrant tout grâce aux appareils hyper-perfectionnés fournis par l'Institut. 

Vers la fin de l'avant-midi, quelqu'un réussit à capturer l'un des bruits sur une bande sonore.  En quelques minutes, elle fut entre les mains des scientifiques, qui en firent des copies, puis l'écoutèrent et l'écoutèrent encore, jusqu'à-ce que le bruit, découragé, devienne silence.

Depuis ce jour-là, les bruits sont repartis, jugeant les humains encore trop peu évolués pour rencontrer leurs créateurs.

CM vers 1996 (inédit)

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Cratère



Tant que sa faveur vous seconde,

Vous êtes les maîtres du monde

Votre gloire nous éblouit,

Mais, au moindre revers funeste

Le masque tombe, l’homme reste

Et le héros s’évanouit.

J.-J. Rousseau




Il entre. Le silence se fait. Ils le fixent, tous. Même après qu’il a pris sa place près du feu. Gêné. Il est en retard. N’a pas vu le temps passer. Était sur la trace d’un orignal. Ne comprend pas. Pourquoi ne reprennent-ils pas? Ils le regardent. Pas de reproche dans leurs yeux. De… de la pitié? Qu’est-ce qui se passe? Quelqu’un se lève, approche. S’interpose entre lui et le feu. Se penche, pose sa main sur son épaule. Puis sort. Les autres font de même, à tour de rôle. Le dernier : Obougwé, son frère. Se penche et dit : « Le sort t’a désigné ». Puis sort.

Agmeé reste longtemps seul, à contempler le feu.

Il n’avait jamais cru cela possible. Que ce serait lui. Mais il n’a pas de femme. Pas d’enfants. Pas vingt printemps. Et il était absent quand le hasard l’a condamné.

Il sait qu’il devrait accepter la décision des dieux comme un honneur. Qu’il sera un héros. Au moins pour un an. Un héros mort plutôt que vivant. Il le fera, il le sait. C’est son devoir.

Il ne ferme pas l’œil de la nuit; c’est la dernière qu’il voit.

Quand le soleil se lève, c’est la fête au village. Dans la tente, on le lave. Le vêt du costume rituel. Le pare de bijoux. A peur, mais ne doit pas le montrer. Doit être brave; de lui dépend l’année. Il sort, on l’acclame. Se met à danser. Tous font banquet, lui jeûne. Fume le calumet du Grand Prêtre. Se sent mieux et on le saoule. La danse reprend, différente. C’est une marche, aussi. Endiablée. Tous y prennent part. Le long du trajet. Jusqu’au sommet.

Sur le plateau rocheux, on l’honore. Comble ses derniers désirs. Festoie. C’est la fête aux flambeaux. Le temps passe… trop vite. Puis vient le moment. Dernières accolades, prières. On jette des offrandes, de la nourriture, des fleurs. Tout pour apaiser les dieux une autre année. Et éviter la famine. Puis c’est son tour. Refuse qu’on lui bande les yeux ; veut tout voir jusqu’à sa fin.

S’élance. Plonge dans le cratère. Son corps flambe. Devient cendre, et il est encore loin du fond. Le vent le prend, l’emporte ailleurs.



Claude Mercier
Publié dans le numéro 149 de la revue STOP, hiver 1997

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                                                    Impression Picasso


Il y a de cela un quart de siècle, je suis allé voir une exposition présentant des oeuvres de Picasso. C'était au Musée des Beaux-Arts du Canada. J'aurais pu me promener et regarder tout simplement, comme tout le monde. Mais j'avais apporté du papier et un stylo, je me suis assis devant les toiles, au risque de me faire marcher dessus par la foule, et me suis laissé emporter, envahir, submerger. J'ai écrit, pour le simple plaisir, ce que ça m'inspirait. Seize courts paragraphes correspondant à autant de toiles. Parfois ça ressemble à de la poésie. Parfois ça n'a pas trop de sens, comme des messages codés durant la guerre. Suite à l'insistance d'une amie, j'avais fini par publier ces textes dans le fanzine Proxima, que je dirigeais alors.

Toi. Débordes de tendresse en un geste tout simple, yeux fermés, le triangle du sourire doux sous l'aisselle.

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Tu y es en un clin d'oeil complice, faux snobinard. Tu blues dans le soleil quand des griffes de cheveux te lèchent le visage reposé.
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Comme ta tête sur ta main tendre. On voudrait connaître ton rêve, qui semble si doux dans ta nudité croisée, mais je n'ose te déranger, de peur de tuer la magie comme un oeuf dont on romprait la coquille. Je te regarde, aveuglément pour que tu ne sentes pas le poids de mes yeux, de ma présence. Douce, douce belle.
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Jeune fille, jeune fille coupée en cubes mais pourtant si tendre, tu aimes. J'entends ta mandoline comme à travers un rêve, comme une vibration sphérique de ton coeur, seul chose en toi encore non brisée par le peintre. Aime, rêve, musicine pour meubler ton attente solitaire.
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Déconstruit. Reconstruit. Cubes boîtes de maisons grouillantes, respirantes. Je voudrais escalader tes escaliers perdus dans le vide, sans début sans fin, mais ils sont sans existence sauf là, dans mes yeux. Personne ne les foulera, que mon imagination.
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Il fait noir, noir, noir! Je veux boire, boire boire! Anis et absinthe font bon mélange sur nos corps penchés au-dessus de la table. Ton reflet, mon reflet, dans les facettes des bouteilles. Nos livres ne nous suffisent plus, plus rien ne nous suffit, sauf le fond de ces bouteilles de l'oubli...
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Tu sors les cartes, petit joker, visage déjà prêt à perdre une fortune en allumettes derrière ta barge carrée. Trois cartes, seulement trois cartes, c'est tout simple mais en même temps tellement aléatoire... Je te le dis, que je gagnerai.
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Ton visage comme un chevalet au sourire pipé, ton nez pendu à tes yeux ronds, tu devises sur la possibilité de l'existence antérieure de ton bonnet comme cuir à chaussure, comme empereur Napoléon. J'ai peur qu'un jour ta tête se déplie, prenne dans le vent, et s'envole, mais c'est toujours le risque, quand on est homme de papier.
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Blues again. À trois cette fois, dans un petit coinsto bizarre, dans un bar bizarre, brun. La mort voilée joue de la guitare, le militaire à barbe de fer accordéonne en losanges bi-triangulaires. Et l'autre, ce polichinelle à la peau bleue, nous trompe-t-il? Que cachent-ils tous les trois sous leur table? Est-ce vraiment une simple peau d'ours, ou le diable tapi(s)?
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Tout à coup quelque chose se produit, le monde change, se transforme. Il renaît dans l'atelier du peintre où trônent et le soleil et la tête de plâtre d'un grec à jamais oublié, mais toujours aussi fier.
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J'ai failli faillir. Devant le singe à la tête de voitures, au sourire nature, à l'esprit d'aventure, j'ai failli faillir, et lui a failli bondir, de sorte que si, il serait passé loin au-dessus de moi pour se retrouver sur le dos de la chèvre au ventre en panier. Mais nous avons failli. Et biquette est saine et sauve.
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O! Mona Lisa des temps modernes, contemplant son visage diurne dans le miroir nocturne habillant. "Miroir, miroir, dis-moi qui est la plus belle" "Mais c'est toi, tu le sais bien, pas besoin de me regarder comme ça!"
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Maya, ma petite, court derrière le papillon, alors que son père lui a donné un costume de marin signé de sa main. Bientôt, elle retrouvera le petit pâtre au cheval blanc, pour courir à travers les nuages à la remorque du volatile rouge butinant le firmament.
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Se prélassant au soleil, Marie nous montre son corps blanc, alors qu'encore hier, juste à côté, une famille, dans un charnier a été retrouvée, pieds et poings liés, peau trouée, corps disloqué.
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Près de la fenêtre, une femme noire regarde, sévère, l'été qui déjà s'en va déclinant. Et elle attend, et elle attend, figée. Figée. Morte.
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Peintre vieux, au coeur d'enfant, avec fougue au firmament, prend pinceau, palette, toile, et allez, mon vieux Picasso, au travail!