lundi 16 novembre 2009

Impression Picasso

Il y a de cela plus d'une dizaine d'années, je suis allé voir une exposition présentant des oeuvres de Picasso. C'était au Musée des Beaux-Arts du Canada. J'aurais pu me promener et regarder tout simplement, comme tout le monde. Mais j'avais apporté du papier et un stylo, je me suis assis devant les toiles, au risque de me faire marcher dessus par la foule, et me suis laissé emporter, envahir, submerger. J'ai écrit, pour le simple plaisir, ce que ça m'inspirait. Seize courts paragraphes correspondant à autant de toiles. Parfois ça ressemble à de la poésie. Parfois ça n'a pas trop de sens, comme des messages codés durant la guerre. Suite à l'insistance d'une amie, j'avais fini par publier ces textes dans le fanzine Proxima, que je dirigeais alors.

Toi. Débordes de tendresse en un geste tout simple, yeux fermés, le triangle du sourire doux sous l'aisselle.
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Tu y es en un clin d'oeil complice, faux snobinard. Tu blues dans le soleil quand des griffes de cheveux te lèchent le visage reposé.
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Comme ta tête sur ta main tendre. On voudrait connaître ton rêve, qui semble si doux dans ta nudité croisée, mais je n'ose te déranger, de peur de tuer la magie comme un oeuf dont on romprait la coquille. Je te regarde, aveuglément pour que tu ne sentes pas le poids de mes yeux, de ma présence. Douce, douce belle.
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Jeune fille, jeune fille coupée en cubes mais pourtant si tendre, tu aimes. J'entends ta mandoline comme à travers un rêve, comme une vibration sphérique de ton coeur, seul chose en toi encore non brisée par le peintre. Aime, rêve, musicine pour meubler ton attente solitaire.
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Déconstruit. Reconstruit. Cubes boîtes de maisons grouillantes, respirantes. Je voudrais escalader tes escaliers perdus dans le vide, sans début sans fin, mais ils sont sans existence sauf là, dans mes yeux. Personne ne les foulera, que mon imagination.
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Il fait noir, noir, noir! Je veux boire, boire boire! Anis et absinthe font bon mélange sur nos corps penchés au-dessus de la table. Ton reflet, mon reflet, dans les facettes des bouteilles. Nos livres ne nous suffisent plus, plus rien ne nous suffit, sauf le fond de ces bouteilles de l'oubli...
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Tu sors les cartes, petit joker, visage déjà prêt à perdre une fortune en allumettes derrière ta barge carrée. Trois cartes, seulement trois cartes, c'est tout simple mais en même temps tellement aléatoire... Je te le dis, que je gagnerai.
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Ton visage comme un chevalet au sourire pipé, ton nez pendu à tes yeux ronds, tu devises sur la possibilité de l'existence antérieure de ton bonnet comme cuir à chaussure, comme empereur Napoléon. J'ai peur qu'un jour ta tête se déplie, prenne dans le vent, et s'envole, mais c'est toujours le risque, quand on est homme de papier.
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Blues again. À trois cette fois, dans un petit coinsto bizarre, dans un bar bizarre, brun. La mort voilée joue de la guitare, le militaire à barbe de fer accordéonne en losanges bi-triangulaires. Et l'autre, ce polichinelle à la peau bleue, nous trompe-t-il? Que cachent-ils tous les trois sous leur table? Est-ce vraiment une simple peau d'ours, ou le diable tapi(s)?
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Tout à coup quelque chose se produit, le monde change, se transforme. Il renaît dans l'atelier du peintre où trônent et le soleil et la tête de plâtre d'un grec à jamais oublié, mais toujours aussi fier.
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J'ai failli faillir. Devant le singe à la tête de voitures, au sourire nature, à l'esprit d'aventure, j'ai failli faillir, et lui a failli bondir, de sorte que si, il serait passé loin au-dessus de moi pour se retrouver sur le dos de la chèvre au ventre en panier. Mais nous avons failli. Et biquette est saine et sauve.
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O! Mona Lisa des temps modernes, contemplant son visage diurne dans le miroir nocturne habillant. "Miroir, miroir, dis-moi qui est la plus belle" "Mais c'est toi, tu le sais bien, pas besoin de me regarder comme ça!"
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Maya, ma petite, court derrière le papillon, alors que son père lui a donné un costume de marin signé de sa main. Bientôt, elle retrouvera le petit pâtre au cheval blanc, pour courir à travers les nuages à la remorque du volatile rouge butinant le firmament.
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Se prélassant au soleil, Marie nous montre son corps blanc, alors qu'encore hier, juste à côté, une famille, dans un charnier a été retrouvée, pieds et poings liés, peau trouée, corps disloqué.
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Près de la fenêtre, une femme noire regarde, sévère, l'été qui déjà s'en va déclinant. Et elle attend, et elle attend, figée. Figée. Morte.
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Peintre vieux, au coeur d'enfant, avec fougue au firmament, prend pinceau, palette, toile, et allez, mon vieux Picasso, au travail!

dimanche 15 novembre 2009

Nouvelle : Cratère





Tant que sa faveur vous seconde,

Vous êtes les maîtres du monde

Votre gloire nous éblouit,

Mais, au moindre revers funeste

Le masque tombe, l’homme reste

Et le héros s’évanouit.

J.-J. Rousseau



Il entre. Le silence se fait. Ils le fixent, tous. Même après qu’il a pris sa place près du feu. Gêné. Il est en retard. N’a pas vu le temps passer. Était sur la trace d’un orignal. Ne comprend pas. Pourquoi ne reprennent-ils pas? Ils le regardent. Pas de reproche dans leurs yeux. De… de la pitié? Qu’est-ce qui se passe? Quelqu’un se lève, approche. S’interpose entre lui et le feu. Se penche, pose sa main sur son épaule. Puis sort. Les autres font de même, à tour de rôle. Le dernier : Obougwé, son frère. Se penche et dit : « Le sort t’a désigné ». Puis sort.

Agmeé reste longtemps seul, à contempler le feu.

Il n’avait jamais cru cela possible. Que ce serait lui. Mais il n’a pas de femme. Pas d’enfants. Pas vingt printemps. Et il était absent quand le hasard l’a condamné.

Il sait qu’il devrait accepter la décision des dieux comme un honneur. Qu’il sera un héros. Au moins pour un an. Un héros mort plutôt que vivant. Il le fera, il le sait. C’est son devoir.

Il ne ferme pas l’œil de la nuit; c’est la dernière qu’il voit.

Quand le soleil se lève, c’est la fête au village. Dans la tente, on le lave. Le vêt du costume rituel. Le pare de bijoux. A peur, mais ne doit pas le montrer. Doit être brave; de lui dépend l’année. Il sort, on l’acclame. Se met à danser. Tous font banquet, lui jeûne. Fume le calumet du Grand Prêtre. Se sent mieux et on le saoule. La danse reprend, différente. C’est une marche, aussi. Endiablée. Tous y prennent part. Le long du trajet. Jusqu’au sommet.

Sur le plateau rocheux, on l’honore. Comble ses derniers désirs. Festoie. C’est la fête aux flambeaux. Le temps passe… trop vite. Puis vient le moment. Dernières accolades, prières. On jette des offrandes, de la nourriture, des fleurs. Tout pour apaiser les dieux une autre année. Et éviter la famine. Puis c’est son tour. Refuse qu’on lui bande les yeux ; veut tout voir jusqu’à sa fin.

S’élance. Plonge dans le cratère. Son corps flambe. Devient cendre, et il est encore loin du fond. Le vent le prend, l’emporte ailleurs.


Claude Mercier
Publié dans le numéro 149 de la revue STOP, hiver 1997

samedi 14 novembre 2009

Parce qu'on ne peut pas aussi facilement sortir le libraire du gars (1)

Grâce à Enrique Vila-Matas (encore!) j'ai fait une autre découverte intéressante, "Les Soldats de Salamine", de Javier Cercas (en poche à moins de 10$). Un des personnages de la troisième partie du roman se nomme Roberto Bolano, et il devient essentiel dans le dénouement de l'histoire. En gros, Cercas est un écrivain-journaliste qui décide d'écrire un roman vrai sur un écrivain phalangiste (espagnol), sur le moment de son exécution ratée par les communistes peu avant la fin de la guerre, sur le moment où il a été épargné, et les quelques jours qui ont suivi, alors qu'il a été hébergé par des paysans et des amis de la forêt. Il rencontre des témoins, écrit, mais sent qu'il manque quelque chose à son roman et retourne à son métier de journaliste. Il doit interviewer des écrivains, et rencontre alors Bolano, qui le met sur la piste de quelqu'un d'autre, qui (je ne veux pas trop en dire) viendra boucler la boucle. La présence de Bolano est assez importante dans le livre, qui est excellent, fort, marquant, qui m'a même ému. Je vous le recommande.

Puisqu'il faut bien commencer...

J'y songeais depuis longtemps et voilà, j'ai mon blog, je peux cesser de jalouser les autres, reste à voir si j'y mettrai beaucoup de temps. C'est que je me connais, il m'arrive d'être un peu éparpillé.
Comme je m'intéresse beaucoup à la littérature, je risque d'en parler ici, de mes lectures, du monde des livres, et de l'écriture aussi, puisque j'écris depuis toujours, dans le but éventuel d'arriver à créer quelque chose de bien. Mais je n'ai pas l'intention de me limiter, si j'ai envie de parler de la belle pluie ou du beau temps, du grand froid ou de la grande chaleur, ou tout simplement de la vie qui n'est jamais si simple, eh bien, ça sera ici aussi.
C'était mon premier message, en guise de présentation.